Un monde posteuropéen : déjà une réalité ?

 

 

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Author: Jean-Claude Muller, Executive Editor at BtoBioInnovation  jcm9144@gmail.com

 

 

SPECIAL REPORT 25.3

 

 

Un monde posteuropéen : déjà une réalité ?

 

 

L’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump et le contenu de ses premières interventions publiques laissent entrevoir qu’un certain nombre de ses actions politiques, diplomatiques, économiques et sociétales auront un caractère imprévisible, conflictuel, déstabilisant et souvent disruptif. Dans cette note il n’est pas envisagé de les commenter, ni même de les lister mais d’en analyser celles qui auront une importance plus grande pour nous les habitants du continent européen. Il ne faudrait pas croire, contrairement à ce que le nouveau Président des Etats-Unis a déclamé dans son discours inaugural, qu’une nouvelle ère démarre avec son élection. En réalité ce premier quart de siècle du nouveau millénaire a débuté dans le malheur des attentats du 11 septembre 2001 et l’on assiste depuis à une accélération de nombreux phénomènes parfois visibles immédiatement parfois uniquement détectables bien plus tard. 

 

L’émergence de la Chine, l’ancien Empire du Milieu qui adhère à l’Organisation Mondiale du Commerce en décembre 2001, qui est alors un nain politique, économique et militaire à cette date se retrouve aujourd’hui être la deuxième puissance mondiale et l’adversaire principal et quasi unique des Etats-Unis. Pour toutes celles et tous ceux qui suivent les activités de la Chine depuis 20 ans ce n’est nullement une surprise. « L’usine du monde deviendra le laboratoire du monde » nous l’avait annoncé Monsieur WAN Gang, alors Ministre des Sciences et de la Technologie (MOST), lors d’un de nos voyages d’affaires en octobre 2013 à Beijing.

 

L’Europe déclinante et défaillante depuis trois décennies ? Dans un article percutant de Walter Russel Mead dans le Wall Street Journal du 6 janvier 2025 il écrivait : « l’Europe a abdiqué son rôle historique à travers des décennies de choix stratégiques erronés et d’échecs économiques. » Nous n’avons pas pour habitude de caricaturer mais voici ce qu’on lit partout : « Les Américains sont optimistes, ils veulent réussir et ils innovent, les Chinois sont travailleurs, ils veulent devenir riches et ils imitent, les Européens sont pessimistes, ils sont arc boutés sur leurs acquis et ils régulent ».

Une Europe défaillante qui risque d’accélérer son déclin puisque depuis le Forum de Davos du 23 janvier 2025, Donald Trump incite toutes les sociétés européennes de venir s’installer aux Etats-Unis sinon elles seront soumises à de lourds tarifs douaniers.

 

L’article du Wall Street Journal du 6 janvier mettait déjà en garde : « Le continent européen peine à répondre aux défis mondiaux face à la Russie, la Chine ou le Moyen Orient et son influence s’efface face à l’émergence de nouveaux acteurs comme l’Inde ou les Emirats Arabes Unis…. Si l’Europe continue sur cette trajectoire, cela ne bénéficiera pas au reste du monde. L’administration Trump devra choisir entre danser sur la tombe d’une Europe affaiblie ou contribuer à  sa renaissance. Un monde posteuropéen n’est plus une hypothèse mais une réalité qui redéfinit déjà les règles du jeu. » Hélène Carrère d’Encausse peu avant sa mort disait elle aussi « Je crois que le moment de l’Europe est passé » .

 

L’Europe n’est ni une Europe des Nations, ni une Europe Fédérale mais un système hybride avec une gouvernance inédite et obsolète à présent. A ce stade il est intéressant d’analyser, ne serait-ce que superficiellement dans un premier temps, ses erreurs stratégiques majeures.

  • L’échec de la construction d’une Communauté Européenne de Défense (CED).
  • L’échec d’une Europe de la Diplomatie : en Crimée, en Syrie, en Ukraine, au Sahel, au Moyen-Orient où chaque dirigeant de pays européens mène sa propre initiative isolée.
  • L’échec d’une Europe de la Santé, même si elle a montré ses intentions et une action concertée durant la pandémie du COVID.
  • L’échec d’une Europe de l’Investissement dans la Science, l’Innovation et la Technologie (Projets Spatiaux, Projets Intelligence Artificielle). Rien de comparable aux $500 milliards annoncés pour l’IA par Donald Trump pour maintenir le leadership américain dans le domaine ou de sa volonté de conquérir Mars.
  • L’échec de l’Europe des batteries électriques
  • etc…

 

Pour ne pas sembler sombrer dans le négativisme on retiendra néanmoins quelques belles réalisations telles que

  • Le Marché Unique des denrées sans droits de douane et la libre circulation des personnes.
  • L’Euro, une monnaie partagée par 20 des 27 pays qui forment l’UE.
  • L’Agence Européenne du Médicament, une agence d’évaluation commune aux 27 pays de l’Union Européenne.
  • Erasmus, un programme d’échanges d’étudiants et d’enseignants entre les universités et les grandes écoles européennes.
  • Les Grands Centres de Recherche tels que le Centre Européen de la Recherche Nucléaire (CERN), l’Observatoire Européen Austral (ESO) l’European Synchotron Radiation Facility (ESFR), le Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL), l’European Spallation Source (ESS), mais toujours rien en santé ou d’équivalent aux National Institutes of Health (NIH) dotés de $35 milliards par an.
  • Les Championnats et Coupe d’Europe dans toutes les compétitions sportives majeures.

 

Certaines de ces réalisations sont aujourd’hui insuffisantes et parfois même inadaptées.  Devant la montée des périls il faut que l’Europe accélère résolument l’exécution de ses actions en cours, lance de nouveaux programmes communs ambitieux, simplifie ses procédures administratives ; favorise la coopération de ses forces vives et redevienne une source d’innovation majeure. Lorsque l’on rajoute à son affaiblissement politique et économique, la guerre en Ukraine, les défis du Moyen Orient, les tensions entre Etats-Unis et la Chine et depuis l’avènement de Donald Trump un début de guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe, il est grand temps que l’Europe se réveille, se répare, se réinvente. Tous ces évènements intriqués et complexes amèneront dans le deuxième quart de ce siècle un Nouvel Ordre Mondial dont les contours et les acteurs majeurs sont incertains à ce jour mais dans lequel l’Europe a un rôle majeur à jouer.

Incertains parce que nous assistons à un désordre du monde qui n’était pas attendu ni dans son intensité, ni dans sa diversité. Un désordre qui se décline sur quatre niveaux selon la déclaration d’Emmanuel Macron à la 30ème Conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs tenue les 6 et 7 janvier 2025 à Paris.

  • « Un désordre des règles internationales
  • Un désordre des démocraties remises en cause dans leur modèle et leur prospérité
  • Un désordre des révolutions technologiques
  • Un désordre des défis globaux : réchauffement climatique, pandémies, inégalités, narcotrafic, terrorisme, divergences de développement, etc… »

Ce désordre conduit à un triple dérèglement : stratégique, technologique et politico-philosophique » indiquait ‘il.

 

Mais comment s’y prendre pour parvenir à aborder sereinement tous les désordres, toutes les instabilités dans un environnement géopolitique complexe et tendu et dans un espace temporel court et éventuellement contraint? C’est l’immense défi que l’Europe, à sa façon, avec sa culture devra relever dans les dix à vingt ans à venir. Les tensions récentes ne font que raviver l’urgence de l’action et la nécessité de lancer de grandes initiatives de rassemblement. De nombreuses propositions réalistes sont déjà connues et publiques, encore faudrait-il les mettre en œuvre rapidement. L’une des plus récentes et particulièrement pertinente, est relative à l’économie et se trouve dans le rapport « The Future of European Competitiveness » de Mario Draghi, l’ancien Président de la Banque Centrale Européenne où il distille un message clair « un coup de rein ou l’Europe va stagner et son modèle multinational et social s’effondrera. » A date aucun dirigeant européen n’en fait mention.

 

A notre avis c’est le sujet de la Défense et de la Sécurité de l’espace européen qui va rapidement s’avérer être le plus crucial et le plus structurant dans la durée. Dans son dernier ouvrage, « Chronique du déclin Français », Jacques Julliard évoquait la nécessité de lancer un Acte II de l’Europe et écrivait : « L’idée de souveraineté européenne de Macron (présentée dans le discours de la Sorbonne de 2017) n’est pas en contradiction avec le respect des autres niveaux de souveraineté dès lors quelle concerne essentiellement la défense. Le monde d’aujourd’hui est ainsi fait qu’il faut savoir partager sa souveraineté pour conserver son indépendance. Jean Monet avait lancé l’Acte I de L’Europe sous le signe de la primauté de l’économie. Nous voila parvenu à l’aube de l’Acte II : primauté à la défense »

 

Mais pour bien comprendre il faut se rappeler où nous en sommes sur le thème d’une défense communautaire au moment où des espoirs de paix s’annoncent en Ukraine et où un cessez le feu a été ratifié entre Israël et Gaza.

La Communauté Européenne de Défense (CED) fut proposée par le Français René Pleven en 1950, le traité fut signé en 1952 mais pas ratifié par l’Assemblée Nationale Française en 1954. Il est tout à fait compréhensible qu’à cette époque le rejet ait été motivé par des craintes liées à la perte de souveraineté nationale. Mais la suite est connue, la coopération militaire européenne s’est orientée vers l’OTAN sous contrôle total des Etats-Unis. Le projet de défense européenne a été repris suite au Traité de Maastricht en 1992, mais trente ans plus tard on a tout juste admis le  principe d’un « Fonds Européen de Défense » non doté et esquissé une « Politique de Sécurité et de Défense Commune » qui n’a jamais montré une efficacité opérationnelle avérée (l’exemple de l’Ukraine est là pour le démontrer) et pourtant les moyens financiers et logistiques existent. Il  suffit de regarder les budgets de défense alloués en 2024

  • Dépenses du Pentagone Américain : $876,9 milliards
  • Dépenses de la Chine : $292 milliards
  • Dépenses de la Russie : $86,4 milliards
  • Dépenses cumulées de 12 nations Européennes : $282,7 milliards

Avec un minimum de coopération opérationnelle bien concertée, en dehors de l’OTAN, les capacités militaires d’une CED seraient absolument redoutables. Fragmentées, incohérentes, sans un commandement intégré, elles sont négligeables. «Dans un temps de déraison… assumons de défendre une préférence européenne pour demeurer maître de notre destin » disait Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux Forces Armées depuis le Commandement de l’Appui Terrestre Numérique et Cyber à Cesson-Sévigné le 20 janvier 2025.

 

Mais qui pour porter un tel projet ? Le soi-disant couple franco-allemand est affaibli et n’a pas la force, la résolution et la détermination de s’engager dans ce projet colossal et controversé. Faute de conviction c’est l’OTAN et les Etats-Unis de Trump et de ses successeurs qui décideront des orientations géopolitiques, militaires et économiques de l’Europe.

Je lis souvent que « La France a abandonné sa souveraineté à l’Europe ». En réalité elle l’a abandonnée à l’OTAN et aux Etats-Unis dont l’actuel président ne manquera pas de nous traiter de « vassal » à qui on applique des « tariffs »  draconiens s’il ne se plie pas à ses exigences.

 

Si l’on veut donner tort aux prédictions du Wall Street Journal, il est impératif que très rapidement une génération de nouveaux leaders politiques lucides, courageux, visionnaires, convaincants, ambitieux et engagés pour la communauté, émergent sur le continent européen. Qu’ils fassent leur l’injonction de Winston Churchill en 1946 « Allez de l’avant l’Europe ».

 

Paris, le 24 Janvier 2025.

 

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