Pétrole et semi-conducteurs :  Une histoire qui se répète mais qui ne se ressemble pas.

 

Par Jean-Claude Muller et John-Guy Park

 

 

Résumé

L'article "Pétrole et semi-conducteurs : une histoire qui se répète mais qui ne se ressemble pas » explore le parallèle entre le pétrole et les semi-conducteurs, deux ressources cruciales qui ont façonné non seulement la technologie et l'industrie, mais aussi la géopolitique mondiale. Le pétrole, longtemps considéré comme le sang qui alimente l'économie mondiale, se retrouve aujourd'hui confronté à un nouveau concurrent dans les semi-conducteurs, les pierres angulaires de l'ère numérique. L'article souligne les implications, le contexte géopolitique et les parallèles historiques de ces deux ressources vitales.

Le pétrole a été synonyme de pouvoir économique et militaire depuis l'aube du XXe siècle. Les nations qui contrôlaient les vastes réserves de pétrole, ou qui possédaient la capacité de les exploiter, ont souvent dicté les règles de l'ordre mondial. La transition vers de nouvelles formes d'énergie et de pouvoir associé est inévitable, comme le résume la citation de l'ancien ministre saoudien du Pétrole, Zaki Yamani : "L'âge de pierre ne s'est pas terminé parce que le monde a manqué de pierres; l'âge du pétrole ne se terminera pas parce que nous manquons de pétrole."

L'article aborde également l'évolution des semi-conducteurs en tant que "nouvelle énergie" de l'avenir, alimentant presque toutes les technologies avancées, des smartphones aux voitures électriques et à l'intelligence artificielle. Les semi-conducteurs deviennent la ressource industrielle vitale qui alimentera la grande majorité de l'économie du futur. Cette réalité affirme que la transition vers une économie où le traitement et le stockage de l'information sont tout aussi critiques que l'énergie physique l’était au XXème siècle.

L'article traite également de l'importance des GPU (Graphic Processing Units) dans le domaine des semi-conducteurs, de leur rôle dans l'intelligence artificielle et de la compétition géopolitique pour l'accès aux GPU les plus avancés. Les nations qui dominent la production et l'innovation dans le domaine des semi-conducteurs et notamment des GPU acquièrent un avantage stratégique dans la course mondiale à l'IA.

 

Dans le tissu complexe de l'économie mondiale récente, deux ressources ont joué et continuent de jouer des rôles cruciaux, façonnant non seulement la technologie et l'industrie mais aussi la géopolitique mondiale : le pétrole et les semi-conducteurs. Le pétrole, longtemps considéré comme le sang qui alimente l'économie mondiale, trouve aujourd'hui un nouveau concurrent dans les semi-conducteurs, les pierres angulaires de l'ère numérique. Cette analyse explore le parallèle entre ces deux ressources vitales, soulignant les implications, le contexte géopolitique et les parallèles historiques.

Le Pétrole : Une Histoire de Pouvoir et de Conflits

Depuis l'aube du XXème siècle, le pétrole a été synonyme de pouvoir économique et militaire. Les nations qui contrôlaient les vastes réserves de pétrole, ou qui possédaient la capacité de les exploiter, ont souvent dicté les règles de l'ordre mondial. Comme le disait l'ancien ministre saoudien du Pétrole, Zaki Yamani, "L'âge de pierre ne s'est pas terminé parce que le monde a manqué de pierres; l'âge du pétrole ne se terminera pas parce que nous manquons de pétrole." Cette citation résume la transition inévitable vers de nouvelles formes d'énergie et de pouvoir associé.

Le pétrole, cette ressource naturelle millénaire, a longtemps été utilisé dans des applications relativement simples comme l'éclairage via les lampes à pétrole. Ce n'est qu'au début du XXème siècle, avec l'avènement de l'industrie automobile et aéronautique, que le pétrole est devenu une ressource stratégique. Ces secteurs, en plein essor, n'avaient alors aucune alternative viable au pétrole comme source d'énergie, ce qui a catapulté sa demande et sa valeur à des niveaux sans précédent. Cette transformation a non seulement remodelé l'économie mondiale mais a également participé aux dynamiques géopolitiques contemporaines articulées autour des ressources énergétiques.

Le remplacement récent des moteurs thermiques par des moteurs électriques puissants et fiables illustre un tournant majeur dans l'histoire de la technologie et de l'innovation. Près d'un siècle a été nécessaire pour développer et affiner la technologie des moteurs électriques à un point où ils peuvent désormais concurrencer, et souvent surpasser, leurs homologues à combustion interne en termes de performances et d'efficacité énergétique. Cette transition vers l'électrification reflète l'évolution continue vers des solutions plus durables et moins dépendantes des combustibles fossiles.

Les Semi-Conducteurs : La « Nouvelle Énergie » du Futur

Aujourd'hui, les semi-conducteurs sont au cœur de presque toutes les technologies avancées, des smartphones aux voitures électriques et à l'intelligence artificielle. Les semi-conducteurs deviennent la ressource industrielle vitale qui alimentera la grande majorité de l'économie du futur. Cette réalité affirme qu’une économie du traitement et du stockage de l'information deviendra tout aussi critique que ne le fut l’accès à de l’énergie pétrolière au XXème siècle. 

Un ordinateur est composé de plusieurs éléments clés : le processeur (ou CPU), qui est le cerveau de l'ordinateur exécutant les instructions des programmes; la mémoire (RAM), qui stocke temporairement les données pour un accès rapide par le CPU; et les semi-conducteurs, qui sont les matériaux utilisés dans la fabrication de composants électroniques comme les transistors, indispensables au fonctionnement des processeurs et de la mémoire. Le GPU (Graphic Processing Unit en anglais), est le composant électronique spécialisé dans le traitement des données graphiques. Il est conçu pour effectuer rapidement des calculs complexes nécessaires pour rendre des images, des vidéos et des animations avec une grande précision et un haut niveau de détail.

Contrairement au pétrole, aucun de ces composants n'est une ressource naturelle; ils doivent être conçus, développés et constamment améliorés. Cette innovation se produit principalement dans les pays développés, tandis que la fabrication est souvent délocalisée dans les pays du Sud, reflétant une division internationale du travail influencée par les coûts de production et la disponibilité de la main-d'œuvre spécialisée.

Les semi-conducteurs sont des matériaux dont la capacité à conduire l'électricité peut être précisément contrôlée, ce qui les rend indispensables dans la fabrication de circuits électroniques. La Loi de Moore, qui prévoyait le doublement du nombre de transistors sur un microprocesseur environ tous les deux ans, a longtemps guidé l'industrie, poussant à une augmentation constante de la puissance et de l'efficacité. Aujourd'hui, la question n'est plus seulement la quantité mais la puissance et l'efficacité énergétique, rendant les semi-conducteurs un enjeu stratégique comparable au pétrole en termes d'importance pour l'économie mondiale.

L'accès aux semi-conducteurs est devenu un problème majeur en raison de leur importance cruciale dans une gamme étendue d'industries, de l'automobile à la technologie de l'information, et du fait de la concentration de leur production dans un nombre limité de régions géographiques. La récente pénurie mondiale de semi-conducteurs a mis en lumière leur rôle critique et les vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement mondiales, exacerbant les tensions géopolitiques et économiques.

La demande explosive pour les capacités d'intelligence artificielle (IA) a transformé les GPU en denrées stratégiques. Les entreprises technologiques et les institutions de recherche s'arrachent les GPU les plus performants pour alimenter leurs projets d'IA, entraînant des pénuries et augmentant les coûts. Cette situation rappelle la course au pétrole, où l'accès à la ressource détermine la capacité d'une nation ou d'une entreprise à innover et à maintenir sa compétitivité.

Au commencement, les unités centrales de traitement (CPU) étaient considérées comme des composants essentiels de l'informatique, tandis que les unités de traitement graphique (GPU) étaient perçues comme des accessoires supplémentaires, avec une tolérance plus élevée aux erreurs dans les calculs, en raison de leur utilisation principalement dans le domaine des jeux vidéo. Cependant, avec l'avancement des technologies de rendu graphique, notamment vers le photoréalisme et la 3D de haute résolution, les exigences en matière de calcul ont commencé à diverger. Alors que les CPU étaient adaptés pour gérer un volume élevé d'informations rapidement, les GPU se sont distingués par leur capacité à effectuer des calculs parallèles, réduisant ainsi la latence, c'est-à-dire le délai entre un événement et sa représentation graphique.

Cette évolution a incité les ingénieurs à explorer l'utilisation des GPU pour des calculs mathématiques parallèles, y compris les calculs en éléments finis, où ils ont démontré une efficacité remarquable. L'architecture CUDA, par exemple, a été adoptée dans des applications professionnelles telles que CATIA de Dassault Systèmes, ouvrant la voie à de nouvelles utilisations des GPU au-delà du jeu vidéo.

Par ailleurs, l'essor de la blockchain et, par extension, des cryptomonnaies, a révélé une autre facette de l'utilisation des GPU. Le minage de cryptomonnaies, exigeant une capacité de calcul intensive, a entraîné l'émergence de « fermes de minage » équipées de GPU, souvent au détriment de considérations environnementales. Cette demande accrue pour les GPU a également influencé le marché des ordinateurs de jeu, où un modèle milieu de gamme peut aujourd'hui atteindre le prix de 2000 euros, avec la moitié de cette somme attribuée au GPU seul.

L'évolution rapide des technologies d'intelligence artificielle a propulsé les GPU au rang de ressources indispensables. Initialement conçus pour améliorer les performances graphiques dans les jeux vidéo, les GPU se sont révélés extrêmement efficaces pour exécuter les algorithmes complexes de l'IA, en particulier les LLMs.

Un Large Language Model est un type de modèle d'apprentissage automatique conçu pour comprendre et générer du texte en langage naturel. Il est formé à partir d'un grand volume de données textuelles, ce qui lui permet d'apprendre les structures, les modèles et les nuances du langage humain. C’est un outil informatique capable de lire et de comprendre le texte d'une manière similaire à celle des humains. Il peut prédire quel mot ou quelle phrase est susceptible de suivre un texte donné, répondre à des questions, résumer des textes, traduire des langues et même générer du texte original.

Ces modèles nécessitent une puissance de calcul colossale pour traiter les vastes ensembles de données sur lesquels ils sont entraînés, rendant les GPU essentiels pour le développement et le déploiement de l'IA avancée. Selon Jenssen Huang, l’un des trois cofondateurs de Nvidia « La révolution ne fait que commencer ». Les ventes de la société ont bondi de 265% et on atteint la somme de 22,1 milliards de $ au dernier trimestre 2023. « La première vague concerne les centres de données, de « véritables usines » à fabriquer de l’IA. Une fois que les modèles d’IA sont entrainés leur utilisation nécessitera de plus en plus de puissance de calcul. La partie de l’activité de Nvidia liée à l’inférence a énormément augmenté à cause de l’utilisation de modèles IA pour générer du texte, des images ou des vidéos » explique Jensen Huang.

Des projets comme GPT-4 d'OpenAI nécessitent des milliers de GPU très spécialisés pour traiter et apprendre de quantités gigantesques d'informations. L'entraînement de tels modèles sans une infrastructure de GPU adéquate serait impensable. Les efforts pour créer une intelligence artificielle générale, capable d'effectuer une large gamme de tâches cognitives à un niveau humain, reposent largement sur les capacités des GPU. Les innovations dans ce domaine pourraient redéfinir de nombreux aspects de notre société, de la médecine à l'éducation, en passant par la production industrielle.

GPU, Data Centers et Géopolitique : Une Nouvelle Arène de Compétition

La compétition pour l'accès aux GPU les plus avancés a également une dimension géopolitique. Les nations qui dominent l’innovation et la production dans le domaine des semi-conducteurs et notamment des GPU, acquièrent un avantage stratégique dans la course mondiale à l'IA :

  • Les principaux pays producteurs de semi-conducteurs incluent Taïwan, Corée du Sud, États-Unis, et Chine. Taïwan, grâce à TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), est leader mondial dans la fabrication de semi-conducteurs. Samsung Electronics en Corée du Sud et Intel aux États-Unis sont également des acteurs majeurs dans la production de semi-conducteurs.
  • En ce qui concerne l'innovation, notamment dans le développement des GPU, les États-Unis se distinguent avec des entreprises comme Nvidia et AMD. Nvidia, en particulier, est reconnue pour ses contributions significatives au progrès des GPU, tant pour les jeux vidéo que pour les applications d'intelligence artificielle.

Cela a conduit certains pays à investir massivement dans leur propre capacité de production de semi-conducteurs, dans l'espoir de réduire leur dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers :

  • États-Unis : Face à la concentration de la production de semi-conducteurs en Asie, les États-Unis ont lancé des initiatives pour revitaliser leur industrie nationale des semi-conducteurs. Le CHIPS Act est un exemple de ces efforts, visant à stimuler la production domestique de semi-conducteurs à travers des subventions et des incitations financières.
  • Union Européenne : L'UE a également annoncé des plans pour augmenter sa part dans la production mondiale de semi-conducteurs, avec des objectifs ambitieux pour atteindre l'autonomie dans ce secteur critique. Le plan européen vise à doubler sa part de la production mondiale de semi-conducteurs d'ici 2030.
  • Chine : La Chine investit massivement dans sa capacité de production de semi-conducteurs dans le cadre de sa stratégie "Made in China 2025", avec l'objectif de réduire sa dépendance aux fournisseurs étrangers et de devenir un leader mondial dans ce domaine.
  • Corée du Sud et Taïwan continuent également d'investir dans l'expansion de leur capacité de production, avec des plans d'investissement massifs annoncés par des entreprises telles que Samsung, SK Hynix, et TSMC pour maintenir et renforcer leur position dominante sur le marché.

Ces efforts reflètent la reconnaissance mondiale de l'importance stratégique des semi-conducteurs et des GPU dans l'économie numérique mondiale, soulignant la course à la souveraineté technologique dans le contexte de tensions géopolitiques et de compétition économique.

L'importance croissante des GPU soulève plusieurs questions, notamment en termes d'accessibilité et de durabilité. La demande croissante pour ces composants exerce une pression sur les ressources naturelles nécessaires à leur production, et leur consommation énergétique pose des défis environnementaux significatifs :

  • Silicium : Le silicium reste le matériau de base pour la fabrication de semi-conducteurs, y compris les GPU. Bien que le silicium soit effectivement abondant, le type de silicium utilisé dans les semi-conducteurs doit être d'une pureté extrêmement élevée. La transformation du silicium naturel en un matériau de grade semi-conducteur est un processus coûteux et énergivore. De plus, la production de silicium de haute pureté peut être concentrée dans certaines régions, ce qui peut créer des goulots d'étranglement en termes d'approvisionnement.
  • Autres Matériaux : Outre le silicium, d'autres matériaux critiques sont utilisés dans la fabrication des GPU, tels que le gallium, l'arsenic (pour les semi-conducteurs composés comme le GaAs), le germanium, et divers métaux rares (tels que l'indium et le tantale). Ces matériaux sont moins abondants que le silicium et peuvent poser des défis en termes de disponibilité et d'extraction durable.
  • Les matériaux comme le gallium et l'indium sont souvent des sous-produits de l'extraction d'autres minerais (comme le zinc et le cuivre), et leur approvisionnement dépend donc des opérations minières globales. Les principales zones d'extraction incluent la Chine, la République Démocratique du Congo (pour le cobalt, un autre élément important dans certains types de semi-conducteurs et batteries), l'Australie, et d'autres pays riches en ressources minérales.
  • Consommation Énergétique : La fabrication de GPU est énergivore, non seulement en raison du processus de purification du silicium mais aussi à cause des étapes complexes de fabrication des puces elles-mêmes. De plus, l'utilisation intensive de GPU dans les centres de données pour des tâches comme le minage de cryptomonnaies, l'entraînement de modèles d'IA, et le cloud gaming augmente la demande en énergie, soulevant des préoccupations environnementales.
  • Défis Environnementaux : La consommation énergétique des centres de données et des infrastructures nécessaires pour soutenir l'usage intensif des GPU pose des défis en termes d'émissions de CO2 et d'impact sur le changement climatique. Cela met en lumière la nécessité de sources d'énergie renouvelables et de technologies plus efficaces pour réduire l'empreinte carbone de l'industrie des semi-conducteurs.

Pour surmonter ces obstacles, l'industrie explore des alternatives plus efficaces et moins énergivores, telles que les puces spécialisées et l'optimisation des algorithmes d'IA. Ces innovations pourraient permettre une utilisation plus durable des ressources et ouvrir la voie à une démocratisation de l'accès à l'IA de pointe.

Les « Magnificent Seven » américains Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla  auxquels il faut rajouter les Chinois Alibaba et Tecent et le Coréen Samsung sont les plus grands utilisateurs de processeurs et de semi-conducteurs.  A signaler qu’il n’y a aucun acteur européen important et aucun japonais.

Leur dépendance à ces technologies pour alimenter leurs data centers, leurs produits et leurs services souligne l'importance stratégique des semi-conducteurs dans l'économie numérique.

Les data centers ou centres de données.

Les data centers, véritables cerveaux de l'ère numérique, sont au cœur de l'infrastructure de l'internet mondial, de l'intelligence artificielle, et du stockage de données massives. Leur rôle dans le traitement et la gestion des données fait d'eux des piliers essentiels de l'économie numérique, soutenant les opérations de milliers d'entreprises à travers le monde, des startups aux géants technologiques.

La localisation des data centers est devenue un enjeu géopolitique majeur pour plusieurs raisons :

1. Souveraineté Numérique : Les nations aspirent à maintenir ou à accroître leur souveraineté numérique en hébergeant des data centers sur leur sol, contrôlant ainsi les données et les services numériques essentiels à leur économie et à leur sécurité nationale.

2. Accès aux Ressources : Les data centers nécessitent un accès significatif à des ressources énergétiques pour leur fonctionnement et leur refroidissement. Les pays disposant de sources d'énergie renouvelables ou bon marché sont ainsi devenus des emplacements privilégiés pour l'implantation de ces infrastructures.

3. Sécurité et Stabilité : La stabilité politique et économique d'une région influence les décisions d'implantation des data centers. Les entreprises et les gouvernements recherchent des environnements où l'investissement dans les infrastructures numériques est sécurisé à long terme.

4. Latence et Proximité des Marchés : La localisation géographique affecte la latence, c'est-à-dire le temps de réponse entre l'utilisateur et le data center. Une proximité avec les grands centres économiques et les populations utilisatrices est donc recherchée pour améliorer l'efficacité des services en ligne.

Tout comme le contrôle des ressources pétrolières a façonné l’aménagement de territoires, les relations internationales et la géopolitique au XXe siècle, la maîtrise des technologies clés, y compris les semi-conducteurs et les infrastructures numériques comme les data centers, dessine aujourd'hui les contours d'une nouvelle forme de puissance stratégique. Les pays qui dominent ces technologies bénéficient d'un avantage concurrentiel majeur, influençant les dynamiques mondiales dans les domaines économique, technologique, et militaire.

La dépendance croissante à l'égard des semi-conducteurs et des capacités de calcul avancées, notamment pour l'intelligence artificielle, rend la localisation des data centers et la production de semi-conducteurs des enjeux centraux de la compétition mondiale. Cette situation rappelle la course à l'accès et au contrôle du pétrole, mais avec des implications adaptées aux réalités de l'ère numérique.

Conflits et Géopolitique : De l'Or Noir aux Puces Électroniques

Le parallèle entre le pétrole et les semi-conducteurs s'étend également aux conflits et à la géopolitique. Tout comme le pétrole a été au centre de nombreux conflits du XXème siècle, les semi-conducteurs commencent à jouer un rôle similaire dans les tensions internationales. La dépendance mondiale vis-à-vis d'un nombre limité de fournisseurs de semi-conducteurs, notamment Taïwan, crée des vulnérabilités et des tensions similaires à celles observées dans l'industrie pétrolière.

Depuis près d’un siècle l’accès au pétrole a historiquement toujours été plus ou moins multi-polaire, avec successivement des territoires tels que : le Texas, l’Irak, l’Iran et le Koweit, l’Arabie Saoudite, la Mer Caspienne, puis en offshore le Golfe du Mexique, le Golfe de Guinée, la Mer d’Ecosse, et la Mer du Nord au large de la Norvège, puis plus récemment les Emirats Arabes Unis, le Quatar et le Kazakhstan. Il n’en va pas de même pour les concepteurs et fabricants de semi-conducteurs, où comme durant la guerre froide on se situe dans un monde bipolaire ; les Etats-Unis avec leurs sites de productions majeurs à Taiwan et la République Populaire de Chine. Un choc de titans où l’Europe, le Japon, la Corée et le reste du Monde sont absents et sont non-alignés. S’il est parfaitement compréhensible que l’accès à des GPU de dernière génération ne représente qu’un enjeu concurrentiel pour le lancement d’un nouveau jeu vidéo il n’en va pas du tout de même lorsqu’il s’agit d’équiper du matériel militaire ou spatial. A un moment où les tensions dans le monde sont plus fortes qu’il y a quelques décennies, l’accès à des GPU performants et à leurs applicatifs militaires et spatiaux deviendra un avantage considérable si un conflit armé devait se déclencher dans les années à venir. C’est justement pour garder ou conquérir un tel avantage que Etats-Unis et Chine sont entre autres engagés dans une course effrénée à la performance.

Mais le militaire et l’espace ne sont pas les seuls domaines qui exigent de l’innovation. La demande augmente dans de nombreux secteurs, partout dans le monde et tout particulièrement dans l’IA générative, ce qui explique l’initiative récente de Sam Altman de lever 7000 milliards de dollars. Il souhaite réinventer l'industrie des semi-conducteurs pour être vue non seulement comme une ambition futuriste mais aussi comme un signe avant-coureur des défis à venir. Cette somme qui représente la moitié du marché de l'Union Européenne, ou la moitié de la capitalisation cumulée des Magnificient Seven, souligne l'échelle potentielle de l'investissement nécessaire pour répondre aux besoins futurs en semi-conducteurs et en capacités d'IA.

Tout comme le secteur automobile et aéronautique dépendait exclusivement du pétrole au début du XXème siècle, l'industrie technologique d'aujourd'hui repose sur les semi-conducteurs. Cependant, tout comme l'innovation a conduit à des alternatives au pétrole, telles que les moteurs électriques, l'industrie des semi-conducteurs est également à la recherche de nouvelles technologies pour dépasser les limitations actuelles, comme l'exploration de matériaux non basés sur le silicium.

Intel, Nvidia et la Nouvelle Ère des "Standard Oil" Technologiques

La comparaison entre des géants des semi-conducteurs comme Intel ou Nvidia et la Standard Oil des années 1930 révèle des similitudes et des différences. Si Standard Oil dominait l'industrie pétrolière par son contrôle sur la production, le raffinage et la distribution du pétrole texan, Intel et Nvidia représentent aujourd'hui une forme de domination technologique et intellectuelle mondiale, grâce à leurs innovations dans le domaine des semi-conducteurs et des GPU. Cependant, contrairement au monopole de Standard Oil, le secteur des semi-conducteurs est marqué par une concurrence intense, notamment entre les États-Unis et la Chine, dans un contexte de tensions géopolitiques où les questions de brevets, de matière grise et de formation sont prédominantes.

 

Conclusion

 

La transition du pétrole aux semi-conducteurs et GPU comme ressources stratégiques marque une évolution fondamentale dans les dynamiques économiques et géopolitiques mondiales, reflétant le passage progressif de l’ère informatique à l'ère de l'intelligence artificielle. Cette mutation souligne l'importance de l'innovation, de la gestion durable des ressources, et de l'adaptation aux nouvelles réalités technologiques pour les nations, entreprises et individus visant à prospérer dans un paysage en rapide évolution. A ce jour il est patent que ce sont les Etats-Unis et la Chine qui ont pris le leadership du domaine et que l’Europe, le Japon et la Corée ne sont pas (encore) compétitifs.

L’Histoire ne se répète jamais à l’identique, néanmoins les dirigeants politiques et économiques devraient se souvenir des tensions et des conflits qui ont été générés par les difficultés d’accès ou d’acheminement du pétrole. Il pourrait en être de même pour l’accès aux semi-conducteurs performants, cette nouvelle ressource stratégique incontournable de l’intelligence artificielle, dont toutes les activités humaines futures auront un besoin croissant dans un proche avenir.

 

Ecrit à Paris et Singapour, le 6 mars 2024

 

Les auteurs

Jean-Claude Muller est Editeur Exécutif chez btobioinnovation un blog qui publie des rapports et des articles sur de sujets innovants dans le domaine des sciences du vivant. Il a exercé la fonction de Senior-Vice Président en charge de la Prospective et des Initiatives Stratégiques chez Sanofi. 

John-Guy Park est ingénieur et serial entrepreneur. Après 15 ans passés dans des entreprises cotées de l’aéronautique, telecoms et pharma, il a fondé 3 startups spécialisées dans la data et l’IA sous le mentorat de Jean-Claude Muller. Il accompagne les structures et VCs en tant que conseiller indépendant.

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